Que reste-t-il de dicible, de vérité dans ce que chacun a capté de la réalité à l’occasion de vacances oubliées, de paysages traversés, d’amours éteintes ou de jeux d’enfant ? On a sorti l’appareil, choisi un angle de vue, peut-être veillé à l’exposition ou commandé des sourires et exigé une météo clémente. Les enfants ont attendu que le petit oiseau sorte, les femmes ont tiré sur leur jupe et les hommes bombé le torse. Nous avons tous ce petit album de photos en tête. Les photos ont jauni, les couleurs sont passées mais la beauté est restée dans notre mémoire. Je suis retourné dans des lieux emblématiques de mon parcours de vie, j’ai arpenté des rivages qui ont compté. Je croyais retrouver les acteurs de ces instants-là mais le théâtre était vide. Mes parents n’étaient plus en Lozère, la plage de Crète de L. était à marée basse, je n’ai pas retrouvé mon ballon oublié en 1969 à Anduze à la bambouseraie, les nénuphars avaient envahi notre étang et du Rhône ou Rhin, j’ai erré sans réponse en passant par la Normandie ou Ostende. J’ai cherché à retranscrire ce flou dans ma mémoire, cette nostalgie heureuse du temps passé par des images en noir et blanc mais dans lesquelles la lumière aveuglante ou brouillée est celle de ce qui fut un jour ma vérité, peut-être même ma raison de vivre ou son urgence, allez savoir. J’y ai croisé quelques fantômes familiers, des ombres étirées et la mienne à l’évidence à chaque fois.  JM, 2001.